migrantsHere is the text of a reflection on integration of migrants and refugees by our Policy Officer Clotilde Clark-Foulquier published on Ressources, monthly magazine of the Église Protestante Unie de France (United Protestant Church of France).

 

 

 

 

 «Pourquoi la question des migrants est-elle si difficile à traiter en France et en europe ?»

cette réflexion d’un représentant de l’Église d’Écosse (membre d’eurodiaconia) résume la difficulté de répondre à la question des migrants en europe aujourd’hui : «comment réconcilier une réponse théologique, idéologique évidente (l’Évangile nous appelle clairement à l’accueil de l’étranger) avec la réalité pragmatique de l’intégration d’un nombre croissant de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile ?»

Les guerres civiles et le terrorisme, a contribué à augmenter la pression sur les fournis- seurs de services sociaux qui se trouvaient déjà affaiblis par un contexte global mar- qué par un équilibre économique précaire depuis la crise économique et financière de 2008. La France en particulier, mais pas seulement, se trouvait déjà avant 2015 dans un contexte social extrême- ment tendu, caractérisé par un système de protection sociale sous pression, un chômage endémique et l’augmentation du taux de pauvreté. L’Observatoire des inégalités rapporte en mars 2016 que « la pauvreté progresse en France »1 et que « la pauvreté a fortement progressé à partir de 2008, avec l’accentuation des difficultés économiques liées à la crise financière. »

La question des migrants intervient alors que la France et l’Europe sont fortement affaiblies. Elle nous met en porte à faux avec notre exigence éthique et identitaire de terre d’accueil et de solidarité : com- ment accueillir quand le système semble déjà s’écrouler? Faut-il réduire la qualité de l’accueil pour accueillir un plus grand nombre de personnes dans le besoin ?

N’est-ce pas cela le partage ? Mais com- ment alors faire face aux concurrences de vulnérabilité et permettre aux plus fra- giles de ne pas se sentir menacés par ce changement, comment permettre que ce changement soit porté par tous ? Cette nouvelle «crise » européenne nous ren- voie à la nécessité de redéfinir un futur commun, un projet fédérateur, essentiel à la re-création d’une cohésion sociale.

Le contexte d’une europe fragilisée 

Une étude menée par Eurodiaconia entre 2008 et 2011 sur l’impact de la crise sur les fournisseurs de services sociaux avait démontré qu’une majorité de nos membres à travers l’Europe faisait face à un défi com- mun : la nette augmentation de la demande de services sociaux. Au premier plan des besoins, les membres d’Eurodiaconia insis- taient sur l’augmentation de la demande pour les services d’aide alimentaire, ainsi que les services liés à l’accueil des sans- abri et au surendettement des ménages. Face à cette augmentation significative de la pression sur les services sociaux, les financements publics ne répondaient déjà pas de manière appropriée aux besoins. La crise économique et financière avait sonné le glas de l’Europe telle que nous l’avions connue et précipité l’Europe vers la nécessité de se reformer. Depuis, l’incapacité, tant des gouvernements européens que des responsables politiques nationaux, de répondre à la stagnation économique de la zone euro et aux défis associés tels que le chômage et la pauvreté n’a fait qu’ac- centuer peu à peu la fracture sociale et la perte de confiance des peuples dans le politique. La solution promue par l’Union européenne et mise en place par la plupart des gouvernements en Europe fut souvent celle de « l’austérité budgétaire » et donc d’une baisse des financements des services sociaux, d’une augmentation des condi- tions à ces aides sociales. Il fallait relancer la machine économique à tout prix… Le prix fut payé d’abord par les plus vulnérables. En Grèce par exemple, les 30 % de la popula- tion disposant des plus faibles revenus, ont un niveau de vie inférieur aujourd’hui à ce qu’il était en 1986.

Un nouveau facteur d’instabilité

Or aujourd’hui vient s’ajouter à cette instabilité une nouvelle crise que beau- coup appellent la « crise européenne des migrants» caractérisée par une très forte augmentation du nombre d’arri- vées de migrants sans papiers en Europe, principalement des Afghans, Syriens et Irakiens, fuyant la guerre et le terrorisme. L’Organisation internationale pour les migrants et l’ONU estiment à plus d’un million le nombre de migrants et réfugiés arrivés par mer et terre dans six pays situés aux frontières extérieures de l’Union euro- péenne en 2015, alors que le nombre total pour l’année 2014 était estimé à 280 000. Simplement cette année, plus de 2 800 personnes ont déjà péri en mer ou disparu après que leurs bateaux ont coulé ou ne se sont retournés. Devant cette tragédie, les réactions sont partagées entre peurs et élans de solidarités.

La peur face à la crise, facteur de repli

La peur d’abord. La peur de ceux qui se sentaient déjà délaissés par les pouvoirs publics dans leur pays en Europe et se sen- tent encore plus menacés par les mesures politiques mise en place pour le contrôle des frontières et l’intégration des ressor- tissants des pays tiers arrivés en Europe.

L’impossible équilibre du contrôle des frontières

Jusqu’à présent, la gestion des migrants reposait sur les règles dites de Dublin qui laissaient la responsabilité des arrivants aux pays par lesquels ils étaient arrivés (principalement la Grèce et l’Italie). Mais cette responsabilité étant devenue trop lourde pour les États en périphérie de l’Union européenne (UE), la Commission européenne a proposé une réforme du système qui vise à rééquilibrer la répar- tition des arrivées en imposant à tous les États membres de recevoir un certain nombre de personnes.

Cette proposition n’a pas été bien reçue par l’opinion publique et certains États membres. Face aux crispations, la Commission européenne a donc proposé une stratégie d’externalisation du contrôle des frontières, basée notamment sur un accord entre l’UE et la Turquie. Cet accord permet à l’UE de renvoyer en Turquie les migrants sans papiers, en échange d’une aide financière à la Turquie. L’accord pré- voit notamment d’accélérer la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs et de doubler (de 3 à 6 milliards d’euros) le montant de l’enveloppe déjà consentie à la Turquie pour venir en aide aux réfu- giés. La Commission européenne a éga- lement proposé en juin 2016 la mise en place d’accords similaires avec le Mali, la Jordanie, le Nigeria (et d’autres) au travers d’un nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers 3.

Cette externalisation du contrôle des fron- tières est problématique pour tous. Elle est critiquée d’une part dans la direction qu’elle donne aux politiques de coopéra- tion extérieures et car elle délègue le res- pect des Droits de l’homme de centaines de milliers de personnes vulnérables à des États qui sont régulièrement mis en cause pour leur manque de respect de ces droits. D’autre part, de telles mesures, lorsqu’elles sont liées à une libéralisation des visas comme dans l’accord avec la Turquie, contribuent à renforcer le malaise de ceux qui se sentent menacés par une ouverture des frontières européennes.

La concurrence des vulnérabilités dans les politiques d’intégration

La Commission européenne a également présenté en Juin 2016 un plan d’action destiné à aider les États membres à inté- grer les ressortissants de pays tiers.4 Ce plan d’action prévoit un cadre politique commun et des mesures d’accompa- gnement pour aider les États membres à poursuivre le renforcement de leurs poli- tiques nationales d’intégration à l’inten- tion des 20 millions de ressortissants de pays tiers résidant légalement dans l’UE. Ce plan propose des mesures d’intégration préalables au départ et à l’arrivée, mais aussi des actions dans les domaines de l’éducation, l’emploi et la formation pro- fessionnelle ; l’accès aux services essen- tiels ; la participation active et inclusion sociale. Or, ceci nécessitera soit de nou- veaux investissements soit une réorienta- tion des investissements existants.

Dans ce contexte, c’est avant tout les personnes vulnérables qui se sentent menacées par la nouvelle donne migra- toire et craignent que l’intégration ne puisse se faire qu’en compétition avec eux. Beaucoup d’individus ont donc choisi de se tourner vers les promesses de partis populistes profitant du gouffre politique pour s’infiltrer, accentuant la polarisation de la société en proposant de reconstruire la cohésion sociale autour de l’identité nationale plutôt que sur l’intégration.

Au niveau européen, de nombreux pays se replient également vers des nationalismes identitaires et c’est désormais la construc- tion européenne elle-même qui est mena- cée, comme l’a récemment prouvé le vote du Royaume-Uni en faveur du «Brexit ». La fracture politique entre les responsables et le peuple s’accentue et semble de moins en moins s’opérer entre la gauche et la droite, mais de plus en plus souvent entre la classe dirigeante et le peuple.

Qu’il s’agisse de la stabilité sociale, de la dynamique de construction européenne ou de la gestion des frontières, le cadre existant, tel qu’il avait été imaginé, ne semble plus adapté au contexte auquel la France et l’Europe font face. C’est exac- tement ce qui caractérise une situation de crise, quand le cadre donné ne fonc- tionne plus. Mais une crise est également une opportunité. Le sens étymologique en grec du terme de « crise » est de « décider, faire un choix ».

La lutte contre la pauvreté, base d’un renouvellement de la cohésion sociale

L’Europe et la France font face à cette instabilité à la fois en tant que danger imminent et qu’opportunité, la question posée à la France et à l’Europe est celle de savoir quelle société construire. La réponse des membres d’Eurodiaconia fait écho aux propos d’Angela Merkel qui déclarait «Wir schaffen das ! – On va y arriver ! ». En effet, partout en Europe, nos membres conti- nuent à travailler, partageant et trouvant des solutions pour accueillir un plus grand nombre de personnes en situation de pré- carité, travaillant pour leur intégration et renforçant ainsi la cohésion sociale. Leurs projets facilitent par exemple l’éducation, l’emploi, l’accès au logement, et la partici- pation sociale de tous ceux que la société n’a pas su intégrer.

Si la question des migrants est si difficile à traiter c’est que l’Europe doit se don- ner les moyens de l’intégration pour tous. L’Europe peut, l’Europe doit s’engager pour l’accueil des migrants, mais l’Europe doit avant tout rassurer ses peuples en les pla- çant au centre de ses politiques. La lutte contre la pauvreté et l’exclusion en Europe est le premier pas d’une politique d’accueil et d’intégration.

La France et sa tradition historique unique de patrie de Droits de l’homme doit por- ter en Europe ce message d’impératif de solidarité. L’Union européenne doit se donner les moyens de ses ambitions morales et ne pas changer son orientation fondamentale pendant cette période de crise mais au contraire mobiliser ses res- sources pour garder le cap d’un rêve qui aura placé l’individu et l’égalité au centre de ses politiques. Cette démarche devra impérativement passer par la lutte contre la pauvreté et l’exclusion en Europe. C’est dans la confiance dans l’avenir, dans la capacité des peuples européens de tra- vailler ensemble pour faire face avec solidarité et responsabilité, que l’Europe trouvera sa force et son projet fédérateur qui permettra le renouveau européen tant attendu.

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